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3493. Arrivons maintenant à la difficulté la plus sérieuse qui s'élève sur le commentaire de l'art. 1558: elle consiste à savoir si, lorsque les formalités de cet article ont été remplies, l'aliénation est tellement ferme et stable que la femme soit non recevable à l'attaquer. Par exemple :

Le jugement d'autorisation a-t-il une assez grande force pour que la femme ne le puisse critiquer, quand même elle alléguerait qu'elle ne se trouvait pas en réalité dans les conditions de l'art. 1558 (1)? Pour mon compte, je n'hésite pas sur ce point, et je pense, avec la plus profonde conviction, qu'il ne faut pas admettre la femme à revenir sur des actes examinés mûrement par le juge, décidés par lui en connaissance de cause, et destinés à réagir sur des tiers. Quel a été le but du législateur quand, s'écartant de quelques précédents de l'ancienne jurisprudence (2), il a exigé l'intervention de la justice? de sauvegarder la femme, et aussi d'assurer aux tiers qui ont traité avec les époux, qu'ils sont à l'abri de ces recours funestes qui tiennent la propriété en suspens, paralysent les transactions et nuisent si profondément au crédit foncier. Quel ne serait pas l'inconvénient pour les tiers, entraînés par leur foi dans une autorisation de la justice, s'ils la voyaient ensuite rétractée!

(1) Cass., 25 mai 1840 (Dalloz, 40, 1, 230;

Devill., 40, 1, 699).

Grenoble, 6 mars 1839 (Devill., 40, 2, 209).
Lyon, 4 juin 1841 (Devill., 41, 2, 612).

(2) Suprà, no 3490.

3494. Je trouve cependant un arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 1842 qui, au premier coup d'œil, peut inspirer de vives inquiétudes. Un jugement du 9 juin 1834 avait autorisé une femme à s'obliger pour retirer de la circulation des lettres de change souscrites par son mari, et pour empêcher qu'il ne fût mis en prison. Vous noterez qu'il ne s'agissait pas de tirer le mari de prison, mais seulement de prévenir l'incarcération. Or, on se rappelle ce que nous avons dit ci-dessus, n° 3441, de la question de savoir si le bien dotal peut être aliéné, non-seulement pour faire cesser, mais encore pour prévenir l'arrestation eh bien! malgré la jurisprudence qui décide que l'aliénation n'est pas permise pour prévenir l'arrestation, des tiers, à la vue de ce jugement, avaient prêté de bonne foi. Puis, le mari étant libre, la femme avait voulu se faire relever de ses obligations. Un arrêt de la Cour de Toulouse du 18 avril 1859 l'avait déclarée non fondée dans cette prétention. Sur le pourvoi, la Cour de cassation cassa cette décision, par la raison que les tiers avaient dû voir que le jugement d'autorisation avait été donné hors des termes de l'art. 1558 (1).

:

Pour justifier cet arrêt et le concilier avec la proposition que nous émettions au numéro précédent, il faut faire une distinction.

3495. Si, tout en reconnaissant que les faits qui

(1) Dalloz, 42, 1, 250.

ont servi de base à l'autorisation rentrent dans les cas où la loi a autorisé la vente, la femme se borne à prétendre que ces faits ne sont pas vrais, que la religion du tribunal a été surprise par une fraude, etc., elle est non recevable, et c'est dans cette hypothèse qu'il faut suivre sans difficulté la doctrine émise au no 3493; sans quoi l'acquéreur serait trompé; on viendrait remettre en question des faits qu'il n'a pu vérifier, et qu'il a dû tenir pour avérés. Ces faits ont été déclarés par le tribunal chargé de les apprécier; il n'y a pas à y revenir (1).

3496. Mais, si le cas n'est pas ouvertement un de ceux dans lesquels l'art. 1558 du Code civil permet l'aliénation, il en est autrement. Le tribunal s'est mis au-dessus de la loi; il a enfreint, par erreur ou par surprise, une règle d'ordre public. L'inaliénabilité de la dot proteste contre cet égarement, et il faut rentrer dans la loi. De quoi peut se plaindre l'acquéreur? En examinant les pièces, comme c'est son devoir avant de traiter, il a pu reconnaître l'erreur du titre et le vice de son acquisition; dès lors il ne saurait puiser dans le jugement une fin de non-recevoir contre l'action de la femme (2). Sans doute, il est rigoureux de vouloir que le tiers qui traite avec la femme, sur le vu du jugement, soit plus sage, plus

(1) Caen, 12 juin 1842 (Devill., 42, 2, 462). (2) Même arrêt.

éclairé, mieux instruit de la loi que ce jugement luimême. Mais enfin nul n'est censé ignorer la loi. D'ailleurs ne sommes-nous pas dans le régime dotal? ignorons-nous à quelle sévérité il conduit envers les tiers et à quelles épreuves il met le crédit?

3497. Et vous noterez que, pour écarter ce jugement d'autorisation, la femme n'a pas besoin de l'attaquer régulièrement et en forme; il lui suffit de montrer, au moment où on le lui oppose, qu'il est contraire à la loi. L'autorisation d'aliéner donnée sur requête n'est pas un jugement proprement dit; c'est un acte de juridiction volontaire. Les voies ordinaires, ouvertes pour faire réformer les jugements, ne sont pas ici de nécessité (1).

3498. Ce que nous disons d'une aliénation autorisée hors des cas de l'art. 1558, il faudrait le dire d'une aliénation à laquelle n'auraient pas présidé les formes protectrices de cet article (2).

3499. Mais, en dehors de ces défectuosités apparentes, le jugement d'autorisation doit être respecté. Quand même il serait articulé et prouvé que les époux ont agi entre eux frauduleusement, si le tiers qui a acheté, ou prêté son argent, est de bonne foi, tout doit être maintenu à son égard. Il a traité sous

(1) Arrêt de Caen précité.

(2) Id.

la garantie des formes judiciaires, il ne saurait être victime de simulations qui lui sont étrangères (1). C'est ce que la Cour de cassation a très-bien jugé par arrêt de la chambre civile du 17 mars 1847 (2), dans une espèce où les époux s'étaient entendus avec un ami complaisant, pour simuler des dettes et faire mettre le mari en prison, et où, grâce à cette fraude, ils avaient obtenu du tribunal une autorisation d'emprunter pour faire cesser l'incarcération. Un tiers, étranger à ces manœuvres, s'était présenté pour traiter sur la foi de ce jugement, et avait fait le prêt. Plus tard, la femme conçut l'idée de se dégager de ses obligations sans bourse délier : elle allégua les circonstances par lesquelles on avait surpris la religion de la justice par de vaines apparences; la Cour de Paris, sans vouloir examiner sa bonne foi, annula les actes intervenus, en se fondant sur la simulation machiavélique pratiquée pour porter atteinte à l'inaliénabilité dotale. Mais, par l'arrêt de la chambre civile, cette décision a été cassée, et c'est avec raison que la Cour de cassation a arrêté dans sa naissance cette jurisprudence funeste. Il n'y aurait plus eu moyen de traiter avec des époux dotaux, même sous l'égide des décisions judi ciaires.

(1) V. suprà, no 3438, l'arrêt du 25 juillet 1842 dont l'espèce confirme ceci.

(2) Devill., 47, 1, 576.

Dalloz, 47, 1, 151, 152.

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