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CHEGARAY, C. SALLENAVE..

On ne peut exercer l'action possessoire qu'autant qu'on a, sur la chose qui en est l'objet, un droit établi par un titre ou par la prescription. Mais les servitudes qui ne sont pas établies sur des titres peuvent-elles s'acquérir par la pres cription? Les servitudes sont des droits, des choses incorporelles, des êtres moraux; il semble qu'on ne peut les prescrire, parce qu'on ne peut les posséder. On ne possède véritablement que les corps: Possessio est usus quidam agri, aut ædificii, non ipse fundus aut ager : non enim possessio est, nisi in rebus quæ tangi possunt. OELIUS GALLUS apud Festum, ad verbum POSSESSIO. C'est par cette raison que, d'après la loi des Douze-Tables, on ne pouvait acquérir les servitudes par l'usucapion. Cette jurisprudence paraît avoir subsisté jusqu'au règne d'Auguste, où les jurisconsultes qui s'occupaient à régler les affaires des citoyens introduisirent, sans qu'il y eût aucune loi, l'usucapion des servitudes, contre les termes de la loi décemvirale, ainsi l'orateur romain s'en plaint dans son oraison pour Cæcinna, chap. 26. Ils s'étaient décidés sur ce que les auteurs de la loi des DouzeTables avaient fondé leur précepte sur l'usage dont les servitudes sont en quelque sorte susceptibles; ils prirent cet usage pour une espèce de possession, et, comme l'acquisition des choses corporelles pár la possession a été accordée pour que les propriétés ne fussent pas incertaines, ils ont accordé, par la même raison, l'acquisition des servitudes par une possession fictive.

que

La loi Scribonia, rendue sous Tibère, rappela, l'antique rigueur des décemvirs; mais Justinien admit la prescription, tant à l'égard des choses incorporelles que des corporelles," et permit par conséquent d'acquérir les servitudes par la possession. La Coutume de Paris et quelques autres avaient adopté la loi Scribonia dans toute sa rigueur. De là, dans ces coutumes, la maxime Nulle servitude sans titre.

Suivant le Code civil, les seules servitudes continues et apparentes s'acquièrent par la prescription; les servitudes con

tinues non apparentes et les servitudes discontinues, apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'acquérir que par titres. Ainsi, dans l'état actuel de la législation, l'action posses▴ soire n'est point accueillie relativement à une servitude qui ne peut s'acquérir que par titre, parce qu'il n'y a que le titre seul qui puisse en constater le droit. C'est ce qui a déjà été jugé par un arrêt de la Cour de cassation, rapporté t. 8, p. 619, de ce recueil; M. Henrion, dans son Traité de la compétence des juges de paix, et M. Pardessus, dans son Traité des Servitudes, présentent une doctrine conforme.

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M. Sallenave, juge de paix à Bayonne, réclamait, à titre de servitude, le droit de puiser de l'eau dans une fontaine qui se trouve dans un héritage appartenant au sieur Chega ray. Il le fait citer en complainte devant la justice de paix, prétendant qu'il avait été troublé, par voie de fait, dans la possession de ce droit. Le sieur Chégaray y soutint que le sieur Sallenave n'avait pu acquérir une servitude, n'ayant aucun fonds voisin auquel elle pût être attaché; que, si la dame sa mère, propriétaire d'un héritage voisin, avait puisé de l'eau dans la fontaine dont il s'agit, c'était à titre de puré faculté et de simple tolérance; mais qu'aux termes de l'art. 2232 du Code civil, les actes de pure faculté et de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession, ni prescription; que madame Sallenave mère n'a pu transmettre à son fils un droit de servitude qu'elle n'avait pas elle-même; que dès lors il n'y avait pas lieu à complainte.

Jugement de la justice de paix, qui réintègre le sieur Sallenave dans la possession et jouissance du puiser de l'eau à la fontaine. Sur l'appel, le jugement est confirmé par le tribunal civil de Bayonne.

Pourvoi en cassation pour contravention à l'art. 691 da Code civil.

Le 25 novembre 1808, ARRÊT de la section civile, M. Audier-Massillon rapporteur, MM. Chabroud et Darrieux avo cats, par lequel:

« LA COUR, — Sur les conclusions conformes de M. Jours

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de, substitut du procureur-général; - Vu les art. 637, 686 et 691, du Code civil;-Et attendu qu'il résulte de ces articles qu'une servitude ne peut être imposée que sur un fonds et en faveur d'un fonds; d'où il suit que les actions qui en résultent sont attachées à la propriété du fonds auquel la servitude est due, et ne peuvent être exercées par celui qui n'a aucun droit à cette propriété;-Que, les servitudes non apparentes et les servitudes discontinues ne pouvant s'établir que par titres, la possession, en cette matière, ne peut conférer aucun droit, et ne peut autoriser aucune action, ni au pétitoire, ni au possessoire;-Qu'on ne peut pas admettre qu'une possession pendant une année puisse donner quelque droit à une servitude qu'on n'aurait pas pu acquérir par une possession, quelle qu'en eût été la durée;—Que, la Coutume de Bayonne proscrivant également toute servitude sans titre, le tribunal n'a pas pu placer les parties dans l'exception renfer mée dans la seconde partie de l'art. 691 du Code civil, qui n'est relatif qu'aux servitudes déjà acquises dans les pays où elles pouvaient s'acquérir sans titre, et par la seule possession; Attendu que le tribunal de Bayonne a réintégré les sieur et dame Sallenave dans le droit de puiser de l'eau à la fontaine du sieur Chégaray, quoiqu'ils n'eussent aucun titre constitutif de cette servitude, et que leur possession ne fût établie que sur les aveux du sieur Chegaray, qui, en convenant que les sieur et dame Sallenave avaient puisé de l'eau à sa fontaine, ajoutait que c'était de son consentement;-Attendu que cette réintégrande a été adjugée sur la demande du sieur Sallenave, qui n'avait aucun héritage voisin auquel cette servitude pût être attachée, et que la dame Sallenave, propriétaire d'un fonds voisin, n'avait été partie, ni dans le jugement de première instance, ni en cause d'appel devant le tribunal de Bayonne; d'où il suit que le jugement attaqué a violé les articles précités du Code civil;-CASSE, etc. »

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COUR D'APPEL DE PARIS.

L'art. 733 du Code de procédure civile s'applique-t-il au cas où les moyens de nullitée contre la poursuite en expropriation dérivent non des actes de la procédure, maïs de l'irrégularité du titre même qui sert de fondement à la poursuite? (Rés. aff.)

LES SIEUR ET DAME HURAULT, C. LE SIEUR RÉGalle.

Les sieur et dame Hurault avaient souscrit un billet de 1,200 fr. au profit d'un sieur Régalle. Après le décès de ce dernier, ses héritiers, ayant trouvé le billet dans les papiers du défunt, en ont demandé le paiement aux souscripteurs. Hurault et sa femme ont prétendu s'être acquittés du vivant du sieur Régalle. Instance, et le 12 octobre 1807, jugement qui condamne les sieur et dame Hurault à payer aux héritiers Régalle la somme de 1,200 fr., montant du billet en question, mais à la charge par les héritiers d'affirmer, s'ils en étaient requis, qu'ils n'avaient pas connaissance que le billet eût été acquitté, ni que le défunt eût reçu aucun à-compte. Il paraît que plusieurs des héritiers ne firent point l'affirmation prescrite.

Quoi qu'il en soit, les héritiers Régalle, en vertu du jugement susénoncé, ont poursuivi l'expropriation d'une maison appartenante aux sieur et dame Hurault. Les formalités préalables ayant été remplies, on procède à l'adjudication préparatoire, sans contradiction de la part des débitans saisis, qui ne proposent alors aucun moyen de nullité.

Le jour fixé pour l'adjudication définitive, Hurault et sa femme se présentent et demandent que la poursuite dirigée contre eux soit déclarée nulle et vexatoire, attendu que le ju gement en vertu duquel elle était exercée ne prononçait qu'une condamnation conditionnelle, et dont l'exécution était subordonnée à une affirmation préalable que les saisis sans n'avaient pas faite, en sorte que jusque là ils étaient sans

titre exécutoire, et conséquemment sans droit actuel pour gir en expropriation.

Les héritiers Régalle ont conclu à ce que les sieur et damé Hurault fussent déclarés non recevables dans leur demande, attendu qu'ils n'avaient pas proposé leurs moyens de nullité avant l'adjudication préparatoire, comme le prescrit l'article 733 du Code de procédure; que d'ailleurs la créance pour laquelle l'expropriation avait lieu appartenait à chacun des héritiers pour la part dont il amendait dans la succession; que conséquemment le jugement leur était commun, et que l'affirmation d'un seul suffisait pour légaliser la poursuite.

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Sur ces débats respectifs intervient, le 19 mai 1808, jugement qui, attendu qu'aux termes de l'art. 733 du Code, les moyens de nullité contre la procédure qui précède l'adjudication préparatoire doivent être proposés et jugés avant ladite adjudication, déclare Hurault et sa femme non recevables, et ordonne qu'il sera passé outre à l'adjudication définitive.

Appel. On a soutenu pour les sieur et dame Hurault que les premiers juges avaient fait une fausse application de l'art. 735 du Code de procédure, ou plutôt qu'ils lui avaient donné une extension qu'il ne comportait pas. Cet article, pris à la lettre et réduit à son véritable sens, ne devait, selon les appelans, s'appliquer qu'à l'hypothèse où les moyens de nullité étaient uniquement dirigés contre les actes de la procédure, et jamais au cas où ces moyens procédaient soit de l'insuffisance, soit de la nullité du titre, soit de l'inobservation d'une formalité préalable de laquelle dépendait son exécution. Au premier cas, les moyens de nullité étant purement relatifs, ils se trouvaient couverts par le silence de la partie saisie; dans le second cas, au contraire, la nullité était absolue, elle devenait une exception péremptoire proposable en tout état de cause, pourvu que ce soit avant l'adjudication. définitive.

La réponse des héritiers Régalle à cet argument se trouve Tome IX.

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