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(Hamon.)-ARRÊT.

LA COUR;... Sur le deuxième chef: En droit:- Considérant que l'art. 25 du décret impérial du 10 juill. 1862, portant règlement pour l'exploitation des carrières de Maine-et-Loire, oblige le propriétaire ou l'entrepreneur, en cas d'accident sur la carrière exploitée soit à ciel ouvert, soit par galeries souterraines, ayant occasionné la mort ou des blessures à une ou plusieurs personnes, ouvriers ou autres, à en donner immédiatement avis au maire de la commune ; Considérant que l'obligation imposée par l'article précité du décret est impérative et sans exception, hormis le cas de force majeure, qui n'est pas invoqué dans la cause, et qui ne ressort pas des faits;-Considérant que cette exigence est motivée sur les garanties que commande toute exploitation qui nécessite un personnel nombreux, exposé à des travaux compromettants pour la vie des personnes, et que ces, sévérités, appliquées aux carrières de Maine-et-Loire, sont justifiées par la protection qu'elles assurent au travailleur; -Considérant que les termes du décret de donner immédiatement avis au maire de la commune, présentent un sens indéterminé, qui permet d'apprécier si le temps écoulé depuis l'accident jusqu'à l'instant où le maire en a été informé satisfait ou non à l'obligation imposée au propriétaire ou à l'entreprereur de la carrière; Qu'en outre la loi s'interprète dans son esprit mieux que dans sa lettre; Mais considérant que, dans l'esprit du décret de 1862, ce mot immédiatement ne correspond pas à l'époque où l'accident a été connu par la personne chargée d'en informer l'autorité, mais à l'époque même où l'accident a eu lieu;-Qu'ainsi c'est d'après cette dernière époque et celle où l'avis de l'accident a été donné, qu'il faut apprécier si les prescriptions du décret ont été remplies ou inéconnues; En fait :- Considérant que Hamon, directeur de la carrière de l'Hermi

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1862 (P. 1863.386. S. 1862.1.902);... et aux peines d'amende aussi bien qu'aux peines corporelles V. Cass. 28 fév. 1857 (P. 1857. 1131.-S.1857.1.389), et la note. Il est également constant que ce principe ne saurait être étendu aux contraventions de simple police: V. à cet égard, Bourges, 22 mars 1866 (P. 1866.590.S.1866.2.142), et le renvoi de la note. Mais il y a controverse sur le point de savoir si la même règle est applicable aux contraventions prévues par des lois spéciales et punies de peines correctionnelles, comme dans l'espèce ci dessus. V. dans le sens de l'affirmative, Cass. 8 mai 1852 (P.1853.1.708.-S.1852.1. 767); 26

5 juill. 1855 (P.1856.2.180.-S. 1855. 1.849); et 13 juill. 1860 précité;- Et dans le sens de la négative, Cass. 17 mai 1851 (P.1853. 1.314 et 695.-S.1851.1.376 et 380); 9 août 1851 (P.1853.2.314.-S.1852.1.64); et 3 janv. 1856 (P.1856.2.43.-S.1856.1.380).

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lage, représente les propriétaires ou entrepreneurs, et qu'il est responsable des infrac tions aux lois et règlements qui régissent cette carrière; Que, l'accident ayant eu lieu dans la soirée du jeudi, vers cinq heures, le 26 avril, Hamon n'en a donné avis au maire de Trélazé que dans la soirée du 28, vers cinq heures; Que cependant le 26, a sept heures du soir, le clerc d'en bas Hamard s'est présenté à son bureau avec deux autres clercs, afin de s'entretenir des événements de la journée, ainsi que les clercs y sont astreints; Que Hamard a dû se présenter également à son bureau le vendredi 27 juin; qu'alors il est inadmissible que, dans ces diverses entrevues, eu égard surtout à la gravité des blessures de David, il n'ait connu ces blessures que le 28; Que d'ailleurs, cela fût-il vrai, l'infraction aux dispositions du décret n'en existerait pas moins, et l'omission du clerc envers son directeur ne soustrairait pas celui-ci à la pénalité qu'il a encourue par son silence, pénalité édictée dans l'art. 96 de la loi du 21 avril 1810;

Con

Sur le troisième chef:-En droit : sidérant que l'art. 17 du décret de 1862 défend l'admission des enfants au-dessous de l'âge de dix ans dans les carrières à ciel ouvert et dans les carrières souterraines; -En fait : Considérant qu'il est constant, d'après les aveux mêmes du prévenu, que dans le cours des années 1865, 1866, il a employé aux travaux de la carrière de l'Hermitage Félix Guibert, Ferdinand Moulinet et Adolphe Moulinet, âgés alors de moins de dix ans, bien qu'il connût leur âge;-Que ce fait doit être puni également suivant les dispositions de l'art. 96 de la loi du 21 avril 1810;-Adoptant, en outre, sur ce chef, les motifs du jugement frappé d'appel;

Que

Considérant que, Hamon étant reconnu coupable sur le deuxième et le troisième chef de la prévention, il importe d'examiner la question de savoir si l'art. 365, C. inst. crim., doit être appliqué en sa faveur; Considérant que le principe qui décide qu'en cas de plusieurs crimes ou délits la peine la plus forte est seule appliquée, régit en général le système des lois criminelles; les exceptions où dans certains cas le cumul est de droit, tels que l'évasion, la rébellion des détenus, le bris de prison, l'usure, etc., confirment la généralité de la règle du noncumul des peines; Que vainement prétendrait-on que l'art. 365, placé dans la rubrique des Cours d'assises, ne saurait être étendu aux contraventions; - Qu'il est remarquable en effet que l'article ne se restreint pas aux crimes déférés au jury; qu'il s'applique également aux délits, expression générique qui comprend les contraventions dont la pénalité atteint un certain degré dans l'échelle des peines; - Que, d'après l'art. 1, C. pén., les contraventions sont les infrac tions punies de peines de simple police, c'està-dire de 1 à 15 fr., s'il s'agit d'une amende;

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D'où il suit qu'au-dessus de cette peine le

fait sort de la catégorie des contraventions | proprement dites pour entrer dans celle des délits; - Qu'ainsi s'explique la raison de la loi qui attribue à la juridiction correctionnelle la connaissance des contraventions dont la peine s'élève à une amende excédant 15 fr., et repousse, par cela même, le cumul des peines dont la rigueur pourrait blesser les exigences d'une justice humaine et éclairée ; Qu'en conséquence, il y a lieu d'appliquer à Hamon le bénéfice de l'art. 365, C. inst. crim.; Considérant que l'appel du ministère public permet, malgré l'admission du deuxième chef de la prévention, d'apprécier à tous les degrés la peine encourue par le prévenu; qu'il est juste de prendre en considération que Hamon, en admettant aux travaux de la carrière de l'Hermitage trois enfants au-dessous de dix ans, a cédé aux pressantes sollicitations de leurs parents pauvres;-Qu'il n'a confié à ces enfants qu'un travail facile pour leur âge, et cela dans le désir d'apporter aux charges de ces familles quelques soulagements plus satisfaisants pour elles que ceux qu'elles auraient été réduites à recevoir de la charité publique ;-Infirme le jugement rendu, le 21 juill. 1862, par le tribunal correctionnel d'Angers, sur le chef relatif à la non-déclaration faite immédiatement par Hamon au maire de Trélazé de l'accident arrivé au jeune David le 26 avril dernier; confirme le jugement sur les autres

(1-2-3) Cette affaire a donné lieu à la discussion de deux questions de droit très-importantes qui naissent de l'art. 909, C. Nap.

§ 1er. La première est celle-ci : l'art. 909 déclare nulle une libéralité faite par une personne, dans le cours de la maladie dont elle est morte, au médecin qui l'a traitée pendant cette maladie. Faut-il entendre cet article en ce sens que la nullité atteint seulement la libéralité contemporaine du traitement, celle faite au médecin qui traite actuellement le donateur? Et le médecin qui, pendant le cours de la maladie suivie de mort, a cessé complétement de traiter le malade, est-il devenu capable de recevoir une donation postérieure à sa retraite?

L'affirmative a été défendue par les raisons suivantes: 1o On doit tout au moins reconnaître que l'art. 909, par sa rédaction, se prête à l'interprétation qui exige la coïncidence de la libéralité et du traitement. La loi suppose que le médecin a traité le disposant pendant la maladie dont ce dernier est mort, et que la disposition a été faite en sa faveur pendant le cours de cette maladie. Elle semble référer à un seul et même espace de temps et le traitement et la disposition. Or, l'article établissant une incapacité, prononçant une nullité, doit être restreint par l'interprète plutôt qu'étendu. L'explication qui exige la coïncidence est la plus étroite de celles dont l'article est susceptible; donc elle doit être préférée ;-2° Cette explication est d'ailleurs la plus raisonnable. C'est le traitement exercé qui place le malade dans la dépendance du médecin, qui, par conséquent, est la cause de

chefs, et statuant sur l'application de la peine, maintient l'amende de 100 fr. prononcée par les premiers juges.

Du 27 août 1866.-€. Angers, ch. corr.— MM. Monden-Genevraye, prés.; MerveilleuxDuvignaux, av. gén.; Guitton aîné, av.

PARIS 8 mars 1867.

LEGS, MÉDECIN, DERNIÈRE MALADIE, TRAI

TEMENT.

L'art. 909, C. Nap., qui annule les dispositions testamentaires faites au profit du médecin qui a traité le testateur pendant sa dernière maladie, n'exige pas que le testament soit contemporain du traitement (1).

La dernière maladie, dans le sens de l'art. 909, existe, quelque éloigné que soit le décès, dès l'instant où est arrivé chez le testateur un état morbide mortel, qui défie tous les efforts de la médecine et n'admet plus que les palliatifs pour la douleur et les distractions pour les préoccupations du malade (2).

Et le médecin ne peut être considéré comme ayant cessé de traiter le malade, par cela seul que, jugeant la situation désespérée, il a laissé intervenir d'autres médications, même contraires à ses convictions, en se bornant à surveiller l'ensemble des moyens de distraction et de soulagement entrepris successivement par son malade (3).

l'incapacité; la cause doit précéder immédiatement l'effet. La loi redoute un abus d'influence, et pour l'empêcher elle érige une présomption, prononce une interdiction de recevoir, non contre un ancien médecin qui a perdu son influence, non contre un médecin futur qui n'a pas encore obtenu la confiance du malade, mais contre le médecin actuel; celui-ci seul, en effet, par le traitement qu'il dirige actuellement, domine, même à son insu et contre sa volonté, l'esprit affaibli du malade qui attend de lui son salut. 3o Les résultats d'une opinion contraire sont parfois bizarres, difficiles à justifier. Une personne malade fait une donation ou un legs à un médecin, son ami, actuellement éloigné d'elle, dont elle ne reçoit pas les soins et les conseils; puis le médecin se rend auprès du malade et le traite. Le malade meurt. Ce fait du traitement postérieur peut-il raisonnablement rétroagir et entraîner la ruine d'une donation que rien ne rendait suspecte au moment où elle a été réalisée ?-Qu'on n'objecte pas, en proposant une distinction entre une donation et un legs, qu'une libéralité testamentaire n'a pas, comme une donation entre-vifs, une date unique, qu'elle se renouvelle par la persévérance de la volonté du testateur qui s'abstient de la révoquer, et que les conditions de sa validité doivent être examinées non-seulement au moment de la confection du testament, mais encore au moment de la volonté dernière, la seule efficace, c'est-à-dire au moment de la mort du disposant. Cette considération ne saurait servir à l'intelligence de l'art. 909; car, d'une part, l'article s'occupe des dona

(Hérit. de Gramont-Caderousse C. Déclat.) Le 8 'août 1866, jugement du tribunal civil

́ét sa rédaction doit éviprésenter, sur la simultanéité, un sens applicable et à la donation qui est irrévocable, il est certain

et au testamentas écrit avant la malapart,

legs

et avoué par tous
die, n'est pas annulé par cela seul que le léga-
taire entreprend la cure d'une maladie dont le
testateur se trouve atteint ultérieurement. V.
MM. Demolombe, Donat. et test., t. 1, n. 525;
Demante, Cours analyt., t. 4, n. 39 bis. De
même, s'il est parfaitement démontré que c'est
après avoir quitté, quitté d'une façon complète
et radicale, un médecin pour s'adresser à un au-
tre, que le malade a gratifié à titre universel son
ancien médecin qui était son ami, dont la science
ne lui inspirait plus une confiance suffisante, mais
dont
at il estimait et reconnaissait le dévouement
et l'affection, est-ce que cette libéralité, qui n'a
pas pour cause l'influence résultant du traitement
exercé,
doit
it tomber sous le coup d'une nullité
nécessaire ?

Pour écarter la condition de la simultanéité de la libéralité et du traitement, on a soutenu que la pensée de la loi avait été d'empêcher que le médecin ne fût intéressé à la mort du malade, et de

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prevenir ainsi des combinaisons coupables.
Si
telle avait été l'intention du législateur, il au-
rait, ce qu'il n'a pas fait, anéanti même les li-
-béralités contenues dans un testament antérieur
Il faut en revenir à cette idée
à la maladie.
simple et raisonnable le législateur a redouté
l'influence, l'autorité morale acquise par le fait
'du traitement d'où l'on attend le retour à la
santé ; il annule la libéralité qui a pu se ressen-
tir de cette influence, c'est-à-dire qui a été faite
pendant le traitement et adressée au médecin ac-
tuel.

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La thèse de la simultanéité, développée avec un art infini par M. Valette dans une consultation produite dans l'affaire ci-dessus par le sieur Déclat, a été combattue par le ministère public et repoussée par la Cour.-L'arrêt se fonde sur cet argument de texte: l'art. 909 établit une présomption légale résultant de deux circonstances, la confection du testament et le traitement pendant la dernière maladie. Le

juge, qui n'a plus en cette matière le pouvoir discrétionnaire qu'il avait autrefois, ne peut ajouter une troisième condition, la simultanéité de la libéralité et du traitement.-Cet argument, on ne saurait e t'en disconvenir, a une très-grande puissance. On peut cependant faire observer: 1° que les partisans de l'opinion contraire ne réclament pas pour le juge un pouvoir discrétionnaire d'appréciation. Une fois les conditions de présomption légale déter qu'il y de deux, il le juge sera également lié, enchaîné;- que l'argument tiré du texte' irrésistible si le si l'article ne comportait pas les interprétations entre lesquelles la discussion est engagée, Mais si les deux explications sont possi bles en présence texte, si le législateur a pu vouloir exprimer par les mots dont il s'est servi

en

eit lieu

de la Seine, qui statuait en ce sens dans les termes suivants: Attendu que le duc de Gramont-Caderousse, est décédé à Paris le

que la libéralité avait été faite durant la maladie pendant laquelle, c'est-à-dire durant le temps pendant lequel le traitement a été exercé, le juge ou le jurisconsulte qui choisit et interprète, n'ajoute pas à la loi.

M. l'avocat général a, dans le sens de l'opinion consacrée par la Cour, tiré ingénieusement parti des documents historiques relatifs à la question. -La thèse de la coïncidence lui a paru avoir été agitée autrefois et avoir déjà succombé. Nous ferons remarquer, toutefois, que Ricard, Donat., t. 1, ch. 3, sect. 9, n. 471, invoqué par lui, décidait seulement qu'il n'était point nécessaire, pour que la prohibition fût applicable, que le tuteur et le mineur, ou l'ex-tuteur et l'ex-pupille, fussent présents dans: le même lieu au moment de la confec

tion de l'acte de libéralité. Or, cette décision spéciale, qui prouve uniquement que l'influence peut s'exercer à

Corsa, sera, nous le croyons, admise

par tout
aujourd'hui, et appliquée aux
rapports du médecin et du malade; on décidera
sans difficulté que le médecin qui traite par cor-
respondance est compris dans la défense de l'art.
909. Mais cette décision, qui naît de la crainte de
l'influence morale exercée de loin, ne renferme
pas et n'autorise pas la conclusion bien diffé-
rente que l'influence soit encore à craindre alors
que la cause en a cessé.-Pothier, t. 2, sur l'art.
296 de la Coutume d'Orléans, note 6, dit l'or-
gane du ministère public, enseignait qu'un legs
fait à une personne déclarée par la loi incapable
de recevoir, par exemple, au tuteur du dispo-
sant, était nul alors même que cette personne
n'aurait été revêtue de la qualité d'où dérive
l'incapacité qu'après la confection du testament;
tandis qu'au contraire le médecin gratifié d'un
legs par une personne dont il n'avait entrepris
la cure qu'un certain temps après la confection
du testament, en conservait le bénéfice; et il
donnait de cette différence la raison que le mé-
decin n'avait pas été, comme le tuteur, déclaré
incapable par une loi formelle. Donc, ajoute
M. l'avocat général, non sans une certaine
apparence de raison, Pothier, en face de l'art.
909, C. Nap., n'aurait, pas plus pour le méde-
cin que pour le tuteur, exigé la coïncidence de la
libéralité et du traitement.-Mais l'argument ne
prouve-t-il pas trop? ne dépasse-t-il pas la me-
sure de ce qui est à démontrer, et par cela
même ne s'affaiblit-il pas, puisqu'il tendrait à
frapper de nullité les libéralités testamentaires
faites, non-seulement avant le commencement de
la cure, mais encore avant la maladie ? Pothier
veut en effet que toute question de capacité légale
de recevoir s'examine et se tranche, en matière de
testament, d'après l'état des choses au moment
de la mort. En outre, il trace dans ce passage
une règle particulière aux dispositions testamen-
taires; comment son opinion pourrait-elle servir
à expliquer une loi qui met sur le même rang
les donations et les legs?

Nous avons un peu plus insisté sur les raisons

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25 sept. 1865, laissant un testament olographe, fait au Caire, à la date du 24 janvier de la même année, par lequel il déclarait «lais<< ser toute sa fortune au docteur Déclat», à la

de l'opinion qui exige la simultanéité de la libéralité et du traitement, parce que les raisons, assurément très-considérables, du système contraire se trouvent amplement exposées dans les conclusions et dans l'arrêt que nous avons reproduits.— On peut ajouter, à l'appui du sentiment qui a triomphe, que si une donation était valablement faite par un malade au médecin dont il a cessé de suivre les conseils, il faudrait au moins excepter le cas où le médecin s'est substitué en apparence un confrère et continue d'une façon dissimulée la direction du traitement, afin d'être capable de recevoir une libéralité dictée au malade par son ascendant de médecin. Le procès serait donc toujours compliqué d'une difficile question de fait, et notre législateur a pu vouloir en cette circonstance, comme il l'a voulu certainement en plusieurs autres, prévenir par une règle absolue des recherches sur des faits nécessairement obscurs. De plus, si le médecin pouvait être soupçonné d'avoir interrompu ses soins afin de recueillir sans obstacle la libéralité même la mieux motivée par des relations d'amitié, la dignité du médecin, à laquelle on admet généralement que le législateur a songé en édictant l'art. 909, n'en recevrait-elle pas une grave atteinte?

Toutefois il ne faut point perdre de vue qu'en donnant à la présomption légale de l'art. 909 la portée la plus étroite, on ne consacre pas nécessairement la validité de toutes les libéralités placées en dehors de la présomption. Ces libéralités, pour cesser d'être nulles de plein droit, n'en peuvent pas moins être annulées si le juge constate, en fait, que le disposant n'a pas eu une volonté saine, libre, éclairée, et que le bénéficiaire a usé de dol pour capter le bienfait. Un tel droit d'appréciation, autorisé par l'art. 901, entraîne des résultats plus équitables qu'une présomption légale inévitablement aveugle. C'est ce qui nous déterminerait à adopter l'interprétation la plus restreinte de l'art. 909, et à exiger la simultanéité du traitement et de la libéralité.

§ 2. Le procès actuel a soulevé, toujours à propos de l'art. 909, une autre difficulté trèsembarrassante. Que doit-on entendre par dernière maladie? A quelle époque fixer le commencement de l'état de maladie mortelle ? Cette question, qui aboutit en dernière analyse à une appréciation délicate de faits très-divers, appelle d'abord un examen théorique et une solution à priori.

Une opinion qui est professée par MM. Valette (consult. précitée), Demolombe (adhés. à la même consult., et Don. et test., t. 1, n. 528), et Bressolles (Revue crit., t. 24, p. 26), ne reconnait l'état de maladie que dans un trouble extraordinaire, accidentel, de la santé, venant déranger les habitudes de la personne, l'enlevant à son genre de vie et à ses occupations. La maladie est mortelle lorsqu'elle cause la mort et s'y rattache d'une manière immédiate et déterminante. Mais il ne suffit pas qu'un vice d'organisation,

charge de payer diverses dettes énumérées dans l'acte -Que cet acte est argué de nullité par la dame Paulze d'lvoy, la marquise de Croix et le marquis de Pracontal, seuls héri

une faiblesse ou une altération du sang, fasse présager une mort presque infaillible, il ne suffit pas que la science se déclare désarmée devant les progrès d'un mal intérieur, pour que l'état de maladie existe, si d'ailleurs la personne atteinte de ce mal a continué à vivre de sa vie ordinaire, si le corps et la volonté sont, chez elle, restés debout, dans leur activité habituelle. Cela est conforme au sens vulgaire du mot et à la tradition, ainsi que l'a prouvé M. l'avocat général; cela est en harmonie avec la pensée de la loi qui annule une donation comme émanant d'un esprit affaibli, d'un homme vaincu dans son moral et dans son physique. N'est-ce donc pas un grand abus de langage que de déclarer état de maladie mortelle un état qui dure plusieurs années et n'arrache l'homme ni à son travail, ni à ses plaisirs, ni à ses passions? Comp., Cass. 9 avril 1835 (P. chr.-S. 1835.1.450).

Une autre opinion fait remonter l'état de maladie mortelle jusqu'au moment où les médecins ont pu constater un mal incurable, défiant tous les efforts de la science et ne laissant au médecin d'autre tâche que de diminuer la douleur. Cette définition repose sur une donnée purement médicale; elle permet d'étendre bien loin la présomption de captation et la nullité qui en résulte. Cet avis, qui a été embrassé par la Cour de Paris, l'avait été antérieurement par la Cour de Toulouse dans l'affaire relative au testament du père Lacordaire (Arrêt du 12 janv. 1864, P. 1864. 724.-S.1864.2.114). A cet égard encore, nous préférerions l'interprétation la moins large.

§ 3. Une troisième question de droit se dégage de notre arrêt c'est celle de savoir en quoi consiste un traitement mot qui demande aussi une définition abstraite et générale. Traiter, n'est-ce pas diriger avec autorité le régime, l'emploi des remèdes, le choix des aliments; n'est-ce pas décerner une série de prescriptions qui embrassent et déterminent tous les soins à donner au malade pour le guérir ou le soulager? La Cour de Paris n'a pas, d'une façon préalable et distincte, indiqué les caractères généraux du fait appelé dans la loi traitement; mais elle a relevé, dans la cause, des circonstances particulières qu'elle a regardées comme constituant un traitement. Or, nous nous demandons si l'idée de traitement se présente naturellement à l'esprit en face d'un médecin qui laisse intervenir des médications les plus contraires à ses convictions, et surveille seulement l'ensemble des moyens de distraction et de soulagement entrepris successivement par son malade et son ami. Nous avouerons que sur ce point, nous éprouvons un doute sérieux.

Nous avons fait connaître les critiques que soulèvent les doctrines juridiques de notre arrêt; mais nous n'entendons pas désapprouver sa décision, qui repose principalement sur une appréciation de faits.

J.-E. LABBÉ.

tiers du sang du duc de Caderousse, par ce motif qu'ayant été fait pendant la maladie dont est mort le testateur, au profit du médecin qui l'aurait traité pendant le cours de cette maladie, le legs universel qu'il contient serait nul, aux termes de l'art. 909, C. Nap., comme fait à une personne incapable; Qu'à cette prétention des héritiers, Déclat oppose les relations d'affection qu'il entretenait avec le duc de Caderousse, et qui prouveraient suffisamment, selon lui, que la disposition faite en sa faveur aurait été déterminée par sa qualité d'ami plutôt que par celle de médecin ; Qu'il s'agit d'examiner tout d'abord si une telle distinction peut être admise, et si elle n'est pas, au contraire, formellement prohibée; Qu'on ne pourrait l'admettre sans substituer arbitrairement à la certitude d'une présomption légale la recherche d'une preuve la plupart du temps difficile, et sans énerver, dans son essence, une disposition protectrice des droits de la famille, des faiblesses du malade et de la dignité du médecin; sans violer enfin ouvertement l'un des principes les plus absolus de nos lois;-Que si l'ancien droit coutumier, qui n'avait pas de prohibitions expresses contre les libéralités faites aux médecins, autorisait la jurisprudence, procédant seulement par voie d'analogie, à tempérer, suivant les circonstances, la rigueur de ses applications, le Code Napoléon établit sur ce point, dans l'art. 909, une prohibition tellement inflexible, que le législateur a pris soin, dans le même article, de déterminer, d'une manière fixe et rigoureuse, les seules exceptions qu'il voulait y apporter ; -Que le legs fait à Déclat excluant, par son titre universel, par son importance, par les expressions mêmes qui l'accompagnent, toute idée de disposition rémunératoire, et Déclat ne pouvant se prévaloir de la qualité d'héritier du testateur, ledit legs ne rentre dans aucune des exceptions prévues par la loi, et reste, par conséquent, soumis à la règle générale, et qu'il y a lieu de rechercher si les circonstances de la cause autorisent l'application de cette règle ;-Que cette application n'est subordonnée qu'à deux seules conditions: 1° celle de la concordance du testament avec la maladie dont est mort le testateur; 2° celle du traitement de cette maladie par le légataire universel;-Que la première question à résoudre est donc celle de savoir si, à la date du 24 janv. 1865, le duc de Caderousse était déjà atteint de la maladie à laquelle il a succombé le 25 septembre suivant;-Qu'il résulte de tous les documents de la cause, notamment du certificat du médecin chargé de constater les décès, que le duc de Caderousse est mort d'une maladie de poitrine, dite phthisie pulmonaire; que, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si cette maladie remontait à une époque éloignée, où l'on pourrait facilement en rencontrer le germe et les premiers symptômes, il suffit, pour se convaincre de son existence à la date du testament, de rapprocher de cette

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date celles de quelques écrits émanés de la main même du testateur; Que ce dernier écrivit à Déclat le 11 janv. 1865 que son mal n'avait fait qu'augmenter; que l'op « pression devenait de plus en plus forte. »> Le 18 du même mois, six jours après le testament, que « son mal s'était terrible«ment aggravé; que sur mer il avait souf«fert horriblement, non du mal de mer, << mais de la poitrine; qu'il avait toujours « froid, de ce froid glacial qui lui montait <<< sans cesse à la poitrine. » Le 8 février : « qu'il foussait beaucoup, avec des douleurs <<< terribles; qu'il ne respirait plus; qu'il « n'avait pas cessé de cracher le sang un << seul jour. »-Que la suite de la correspondance depuis février jusqu'à sept. 1865, n'est qu'une constatation presque quotidienne des diverses phases de la maladie; que si, à certaines époques, quelques-uns de ces efforts que le malade puisait dans son énergie naturelle donnent un dernier espoir de guérison, les symptômes caractéristiques ne tardent pas à reparaître, et l'on retrouve toujours cette même maladie, lente dans sa marche, mais incessante dans ses progrès, s'avançant par périodes successives vers lá crise suprême, et se rattachant ainsi fatalement et immédiatement à la mort;-Qu'à cette première condition de la concordance du testament avec l'existence de la dernière maladie, l'art. 909 en ajoute une seconde : celle du traitement de cette dernière maladie par le médecin légataire universel; qu'il y a lieu dès lors de rechercher si, pendant la maladie dont il est mort, le duc de Caderousse a reçu du docteur Déclat des soins susceptibles d'être considérés comme un traitement proprement dit; Que le traitement dont parle l'art. 909, C. Nap., n'ayant pas été défini par la loi, l'appréciation des circonstances multiples dont il se compose est. nécessairement confiée à la sagesse et à la conscience des tribunaux ; Qu'il n'est pas douteux qu'au moins à partir de 1858, époque où il a été introduit dans la maison du duc de Caderousse, jusqu'en 1864, époque où ce dernier, dans l'espoir de combattre un mal irrémédiable, crut devoir recourir à la médecine homœopathique, Déclat n'ait été son seul et unique médecin; qu'il est certain aussi que pendant cette période, le duc de Caderousse était depuis quelque temps profondément atteint de la maladie mortelle qui, en 1858, se révélait déjà par des tubercules, et qui, à la fin de 1864, après quelques apparences d'amélioration, reprenait sa marche progressive, quand le malade partait le 29 décembre pour l'Egypte, où trois semaines après il faisait son testament; Qu'au moment même où, fatigué de remèdes impuissants, le duc consultait accidentellement et successivement divers médecins étrangers, il considérait tellement le docteur Déclat comme son médecin habituel, qu'il recommandait un jour de ne rien lui dire de ses infidélités momentanées, « de peur de

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