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C'est une loi émanée de la justice éternelle: qu'il nous sera fait comme nous aurons fait aux autres. La liberté que se donnèrent, dans ces siècles de barbarie, quelques prélats plus ambitieux que prudens, et à leur exemple, des abbés et des chapitres, de destituer, de révoquer ou de changer à volonté les curés de leur dépendance, donna envie aux rois d'en user de même envers les évêques; les souverains se crurent permis envers eux ce qu'eux-mêmes se permettaient à l'égard de leurs curés; ils les destituaient donc, ou les transféraient d'un évêché à l'autre selon leur bon plaisir. Nous en avons un témoignage curieux dans un édit du roi de Hongrie de 1169, inséré dans les annales de Baronius (1). C'est une espèce de concordat entre le pape et le roi. Le roi s'engage, lui et ses successeurs, à ne plus déposséder ni transférer les évêques; et le pape, stipulant pour les évêques, les abbés et les prévôts des chapitres, promet, qu'à l'avenir, ils ne destitueront ni ne transféreront plus les curés de leur ressort, s'ils ne sont juridiquement

(1) Baron. Ann., no 40.

convaincus de quelque crime. C'est ainsi qu'un abus de pouvoir en entraîne un autre, et qu'en voulant s'arroger un droit que l'Eglise ne donne pas, on s'expose à être dépouillé par l'autorité civile de ceux que l'on tient et de l'Eglise et de Dieu même.

Cette conduite injuste des souverains à l'égard des prélats et des autres dignitaires de l'Eglise, qui se donnèrent cette dangereuse liberté, fut, dit le père Thomassin, plus efficace peut-être que toute la puissance des canons de l'Église, pour maintenir l'ancienne et constante discipline de l'Église sur l'inamovibilité des prêtres à charge d'âmes.

Aussi depuis ces siècles de sommeil et d'abus nous ne voyons presque plus d'exemples d'une tentative pareille des évêques contre les curés. Le seul qu'à notre connaissance l'histoire nous fournisse, est celui de Le Tellier, archevêque de Reims (1). En 1697 il

(1) II était frère du fameux ministre Louvois; mais il n'avait de lui que la morgue et un caractère despotique. Il unissait à une ignorance profonde des mœurs plus qu'équivoques; il n'estimait dans les hommes qu'un titre brillånt et un gros revenu.

Racine raconte dans ses fragmens historiques qu'à Strasbourg, quand le roi y fit son entrée, les députés des

voulut faire un mandement pour rendre ses curés amovibles; mais aussitôt que le roi Louis XIV en eut connaissance, il lui fit défendre de le publier, et le père Davrigni, qui raconte ce fait, observe qu'un tel projet, s'il fût devenu public, aurait soulevé tout le clergé, tant il eût paru étrange et inouï!

Suisses l'étant venu voir, l'archevêque de Rheims, qui vit parmi eux l'évêque de Bâle, dit à son voisin: C'est quelque misérable apparemment que cet évêque. Comment, lui répondit l'autre, il a cent mille livres de rentes et il est prince de l'empire. Oh! oh! dit Le Tellier, c'est donc un honnête homme; et il lui fit mille caresses.

D'après le même auteur, outre son riche archevêché, il possédait une foule d'autres bénéfices d'un revenu très considérable, ce qui ne l'empêchait pas d'être abîmé de dettes. Comme tous les ecclésiastiques de ce caractère, il parlait très cavalièrement du pape, et élevait l'autorité du concile bien au-dessus de la sienne. Un jour qu'il soutenait cette opinion en présence du prélat Roberti, alors nonce en France, celui-ci, pour toute réponse, lui dit: Ou n'ayez qu'un seul bénéfice, ou croyez à l'autorité du pape.

Il est à croire que les prélats qui tentèrent de rendre leurs curés amovibles, étaient de la force de l'archevêque Le Tellier. Les prélats vertueux et instruits ne tentèrent jamais rien de pareil, et l'épiscopat en corps n'en eut jamais la pensée. Au contraire, nous venons de voir qu'il s'était dans tous les temps, soit dispersé, soiten concile, opposé avec force aux tentatives partielles de quelques ambitions aveugles ou coupables.

Nous croyons avoir prouvé que l'inamovibilité des prêtres à charge d'âmes a été établie et reconnue en fait et en droit, d'une manière constante et uniforme, dans toute l'Eglise. Non seulement les curés en titre ne furent jamais révocables au gré de l'évêque; mais encore tout prêtre desservant d'une annexe quelconque, tout vicaire exerçant le ministère pastoral dans une église où le titulaire ne résidait pas, dès lors qu'il était chargé du soin des âmes, jouissait dans toute son étendue de ce droit sacré dont il n'appartenait à personne de le dépouiller.

Nous pouvons donc nous résumer ainsi : tout prêtre à charge d'ames, quelque nom qu'on veuille lui donner, est essentiellement curé, et d'après le droit constant de l'Eglise, tout curé est nécessairement inamovible; il ne peut être révoqué que de son consentement ou par un jugement canonique.

Mais si l'évêque ne peut révoquer les prétres à charge d'âmes qu'il a une fois institués, ne peut-il pas du moins les transférer à volonté, d'une paroisse à l'autre de son diocèse? Le chapitre suivant sera la réponse à cette question.

CHAPITRE VI.

L'évêque ne pouvait transférer les prètres à charge d'âmes d'une paroisse à l'autre sans leur consentement.

Dans tous les temps, l'ordination, qui est une consécration solennelle, a attaché les clercs à leur évêque, et par lui à une église particulière, à une fonction déterminée. Une fois ordonnés et institués, ils ne peuvent plus, selon leur volonté, se soustraire à l'autorité de leur évêque, pour se mettre sous la dépendance d'un autre évêque, ni abandonner leur église, pour passer à une autre église, ni quitter l'emploi qui leur a été une fois confié, pour se charger d'un au

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