Le Journal des Avoués, tel que je le conçois, restera toujours un recueil dans lequel la pratique trouvera toutes les décisions de la jurisprudence sur les questions de procédure et de taxe, beaucoup plus de décisions qu'en aucun autre recueil; mais il est surtout destiné, à raison de son ancienneté, des services qu'il a déjà rendus à la science, à devenir un centre de correspondance pour tous les avoués de France. Chaque jour, la position, la valeur, la nature des offices sont mises en discussion; le rédacteur doit s'efforcer de ramener la jurisprudence aux véritables principes. La jurisprudence en matière de procédure, d'offices, et de taxe est plus variable que sur les autres parties du droit. Très souvent les difficultés s'arrêtent aux Cours royales, bien plus souvent encore aux tribunaux de première instance; on le conçoit à part l'intérêt de principe, l'intérêt pécuniaire est souvent fort minime dans son individualité. Aucun arrêt, même de la Cour de cassation, aucun jugement ne sera inséré sans que le lecteur ne reçoive en même temps mon opinion sur la question jugée. Mes cahiers mensuels seront, pour ainsi dire, le supplément périodique de mes précédents travaux. Il y a plus: très fréquemment la pratique est arrêtée par une difficulté neuve; il faut commencer une instance; il faut critiquer une procédure; il n'y a pas encore de décision; il n'y en aura peut-être pas; si on s'arrête, c'est pour prévenir un incident; je m'empresserai, si messieurs les abonnés veulent bien me faire part de leur embarras momentané, d'apporter à leur aide le tribut de mon expérience de vingt-cinq années. Je répondrai par la voie du journal, en quelques mots, à toutes les questions qu'ils croiront utile de me soumettre. En 1834 (1), je remerciais Messieurs les avoués qui m'avaient adressé des questions délicates jugées par les tribunaux de leur arrondissement. En 1847, j'invite tous mes abonnés à rechercher les jugements intéressants qui ont été rendus, à me les adresser, les chambres d'avoués à se réunir, à m'envoyer les questions de pratique ou de taxe qui, quelquefois, divisent la magistrature et le barreau. Dans mon Commentaire du tarif, j'ai été assez heureux pour produire quelquefois une conciliation nécessaire à la bonne administration de la justice. Que le Journal des Avoués devienne le grand livre de la pratique judiciaire; il aura ainsi utilement inauguré la seconde série de son existence. Pour atteindre ce but d'unité de doctrine, de théorie et de pratique, j'ai dit que le Journal ne contiendrait pas un seul article qui n'indiquât mon opinion. Qu'on me permette d'ajouter que je veux être responsable de la doctrine du journal. Est-ce à dire, pour cela, que j'aurais la prétention de penser que moi seul je puis écrire sur la procédure et que j'ai posé les bornes à la science... Mes abonnés ne s'y méprendraient point, mais je ne veux même pas laisser germer cette pensée à la lecture de ces quelques lignes d'avertissement. Au contraire, j'appelle à mon aide les hommes de science, MM. RODIÈRE, BOURBEAU, etc., etc.; les hommes de pratique, MM. GLANDAZ, RICHARD, BEAUPRÉ, etc.; les magistrats, MM. LAMARQUE, BRO CHAIN, LAMIRANDE, VICTOR FONS, MÁIREAU LACHAIZE, etc. (1) J.Av., t. 46, p.65, note 1. Qu'on veuille bien réfléchir que la réponse à un abonné est connue de tous, et peut aider à résoudre une difficulté dans vingt tribunaux différents. Plusieurs d'entre eux ont été mes condisciples, sont mes collègues; et d'ailleurs, quand on fait un appel à la science, c'est une sorte de confraternité qui forme le lien de la correspondance. Qu'ils veuillent bien enrichir mon œuvre des trésors de leur longue expérience, et la seconde série du Journal sera vraiment pour lui l'ère d'une nouvelle vie. La procédure est assez grande, assez importante, assez multiple pour grouper autour d'elle d'aussi honorables, d'aussi savants collaborateurs. Déjà, dans ce cahier, je puis offrir à mes abonnés un article plein d'intérêt sur un brocard de palais, de mon savant collègue et ami M. RODIÈRE. Mes intentions ne pourront donc pas être méconnues, et je pourrai marcher avec persévérance et sécurité dans la voie du progrès qui est la vie de notre époque. ས. Je n'ajoute plus que quelques mots sur des modifications de détail qui m'avaient été demandées, ou dont l'expérience m'a démontré l'opportunité : 1o La division de chaque calier en trois parties ne présente aucune utilité; à la fin de l'année ces subdivisions mensuelles sont confondues. La table sommaire du numéro suffit à celui qui ne lit pas tout le cahier. Pour celui, au contraire, qui veut se tenir au courant de la doctrine et de la jurisprudence, peu importe qu'une dissertation, ne ordonnance, un arrêt, soient à la fin ou au commencement; 2o Le numérotage de chaque article d'un recueil facilite les recherches et rend plus simples les indications. Dans le journal du droit criminel, dans des journaux du notariat, etc., on procède ainsi, et les abonnés trouvent cette méthode plus convenable; dorénavant toutes les notices seront précédées d'un numéro d'article. Cet avis à messieurs les abonnés forme l'ARTICLE PREMIER. Il devenait nécessaire de faire commencer une nouvelle série de volumes pour qu'on sût de suite à dater de quelle année les articles avaient un numéro. Ainsi, la première série du Journal des Avoués comprend 71 volumes, et finit en 1846; le 1er volume de la seconde série commence en 1847. Néanmoins, les couvertures et la première page de chaque année indiqueront la suite du numéro de la première série. Ainsi 1847 sera le 72o volume; 3o Depuis l'année 1831 les deux volumes du Journal n'avaient qu'une seule pagination et une seule table alphabétique; messieurs les abonnés les réunissaient en un seul volume. La multiplicité des tomes étant plutôt un embarras qu'un avantage, je ne diviserai plus les douze cahiers en deux tomes. L'année ne formera qu'un volume, mais n'en contiendra pas moins le même nombre de pages que par le passé, 64 pages par cahier; 4 Avant l'année 1829, j'étais dans l'usage d'indiquer la chambre et le président de chaque Cour ainsi que le nom des avocats. On m'a prie d'ajouter de nouveau ces indications. Le nom d'un magistrat donne parfois une plus grande autorité à un arrêt. Le nom des avocats est souvent utile pour obtenir des renseignements. 1o Les règles ordinaires relatives à la compétence territoriale en matière d'actions personnelles ou réelles sont-elles applicables aux instances administratives? 2° Lorsque l'autorisation de plaider devant un tribunal civil a été refusée à une commune, le demandeur peut-il régulièrement prendre un jugement de défaut et le faire exécuter? (2). S1r. Actions personnelles et réelles. I. Les actions judiciaires sont susceptibles de revêtir un double caractère elles sont personnelles ou réelles. : Aux termes de l'art. 59 du Code de procédure civile, les action personnelles sont portées devant le tribunal du domicile du défendeur; (1) Mon intention n'est point de faire du droit administratif théorique dans le Journal des Avoués; mais, tout le monde convient que la compétence judiciaire a des liens intimes avec la compétence administrative; que l'action du pouvoir exécutif arrête parfois l'action du pouvoir judiciaire; que des formalités administratives doivent nécessairement précéder certaines natures d'action's judiciaires; que l'exécution des jugements et arrêts doit revêtir une forme particulière, lorsque cette exécution frappe les personnes morales appelées l'Etat, les départements, les communes, les établissements publics. Est-ce donc m'écarter du plan et du but du Journal des Avoués que de jeter quelque lumière sur des parties de la pratique qui, je le sais, arrêtent, si souvent, ceux qui, comme messieurs les avoués, guident les premiers pas de chaque plaideur. Dans mes Principes de compétence et de juridiction, et dans mes Lois de la procédure administrative, j'ai cherché à combatire et à détruire l'idée communément admise que l'arbitraire était la seule règle de l'administration, que toute lutte avec le pouvoir administratif présageait une défaite inévitable et qu'en semblable occurrence, il fallait nécessairement obéir et se taire. Rien n'est plus faux que ces préjugés de barreau. Il existe une compétence et des règles d'instruction que respectent les tribunaux administratifs avec autant de scrupule que les tribunaux judiciaires, notre Code de procédure civile. Pour être bien pénétré du droit et du devoir de chacun, il faut lire, et appliquer des doctrines fort simples. Les bulletins que je me propose d'insérer dans le Journal des Avoués n'auront d'autre but que de vulgariser les règles d'une pratique dont la connaissance me paraît essentielle à mes lecteurs. Lorsqu'ils ne comprendront pas, lorsqu'ils douteront, qu'ils veuillent bien m'écrire, et je serai heureux de pouvoir éclaircir leurs doutes et leur faciliter la voie qui doit faire triompher les intérêts de leurs clients. (2) Lorsque le jugement a été rendu, voyez les règles d'exécution que j'indique, pour empêcher le jugement de tomber en péremption, Lois de la procédure civile, CARRÉ, 3a édit., t. 2, p. 110, Question 663, § 1er, 5o. les actions réelles devant le tribunal de la situation de l'objet litigieux. Ces règles de juridiction territoriale sont-elles applicables aux actions administratives ? Malgré toute l'importance qu'elle peut avoir, cette question, que j'ai déjà indiquée dans mes Principes de Compétence, t. 1er, p. 252 et 253, et t. 3, p. 665 à 669, n'a point été étudiée, et la doctrine ne fournit à peu près aucun document propre à la résoudre. La jurisprudence ne projette non plus aucune lumière sur une difficulté qui semblerait néanmoins devoir se présenter souvent dans la pratique. Parmi les tribunaux administratifs, il en est plusieurs, tels que le conseil d'Etat, la Cour des comptes, le ministre, etc., qui sont uniques. On comprend que la question ne peut pas s'élever à leur égard. Mais elle se présente à l'égard des préfets, des conseils de préfecture et de tous les autres tribunaux qui n'exercent leur juridiction que dans une portion déterminée du territoire. Faudra-t-il, pour déterminer l'étendue de leur juridiction respective, s'attacher au caractère de l'action ? Je ne le pense pas. La distinction entre les actions personnelles et réelles ne me paraît point applicable aux matières administratives. C'est plutôt l'objet de la contestation qui doit servir à déterminer la juridiction respective de deux tribunaux du même ordre. Chaque préfet, chaque conseil de préfecture connaîtra des contestations qui pourront s'élever à raison de faits ou d'actes qui se sont passés dans les limites de son département, ou à raison des propriétés situées dans ces mêmes limites, ou enfin à raison de mesures administratives prises par une autorité de ce département. Ainsi, 1° les difficultés que fait naître, entre l'Etat et l'entrepreneur, une adjudication de travaux publics sont portées devant le conseil de préfecture du département où cette adjudication a eu lieu, sans qu'il y ait à s'occuper du domicile des parties; 2o Les extractions de matériaux sont autorisées par le préfet, et le règlement de l'indemnité est fait par le conseil de préfecture du lieu où est situé l'immeuble qui renferme ces matériaux ; 3o Les réclamations relatives aux listes électorales sont adressées au préfet du département où ces listes ont été dressées et où doit se faire l'élection; 4° Les contraventions de grande voirie sont poursuivies devant le conseil de préfecture du lien où elles ont été commises, et non point devant celui du domicile du contrevenant. voy. 29 janvier 1823, Nast; 21 décembre 1825, Joly de Bussy. Je pourrais multiplier les exemples; ceux-là suffiront pour faire comprendre la portée de la règle que je crois devoir être suivie. Je reconnais, du reste, que tout cela n'est pas sans difficultés, et qu'il pourra même se présenter des circonstances dans lesquelles des exceptions devront être admises; j'en ai même signalé quelquesunes dans mes Principes de Compétence, loco citato; mais ces règles me paraissent être les seules qui puissent être appliquées dans la plupart des cas. II. - Je passe à un autre ordre d'idées. En matière judiciaire, lorsqu'il y a plusieurs défendeurs domiciliés dans le ressort de tribunaux différents, l'action personnelle est portée devant l'un de ces tribunaux au choix du demandeur (C. P. C., art. 59). L'action réelle est portée devant le tribunal dans le ressort duquel se trouve le chef-lieu d'exploitation de l'immeuble qui s'étend sur le territoire de deux tribunaux. En matière administrative, à quelle autorité faudra-t-il s'adresser lorsque l'objet de l'action est de nature à tomber sous la juridiction de deux tribunaux du même ordre ? Cette hypothèse se produira plus rarement en matière administrative qu'en matière judiciaire. Dans le cas où elle viendrait à se réaliser, je crois qu'il faudrait saisir l'autorité de laquelle ressort l'objet principal de l'action ou la partie principale de la chose qui donne lieu à cette action. Par exemple, un barrage est construit sur un cours d'eau qui sert de limite à deux départements; il s'appuie sur le territoire de l'un et de l'autre. Les actions administratives auxquelles ce barrage donnera lieu devront être portées devant l'autorité du département dans la circonscription duquel se trouve l'usine dont le barrage forme l'accessoire. Les mines, les desséchements de marais et d'autres matières spéciales offriraient des exemples semblables. Je n'en parle point ici, parce que j'aurai à m'en occuper plus tard. Même en matière gracieuse, des difficultés de cette nature peuvent se présenter, et se sont présentées réellement, comme le prouve une lettre du ministre de l'intérieur du 22 juillet 1839 ( Bull. off. 1840, p. 323). Il s'agissait de savoir si l'aliénation d'un terrain appartenant, par indivis, à deux communes dépendant de deux départements différents, devait être autorisée par les deux préfets ou seulement par celui du territoire sur lequel se trouvait l'immeuble à vendre. Le ministre décide qu'en ce cas, et dans tous autres cas semblables, les deux préfets doivent se concerter et, s'ils ne s'accordent pas, en référer au ministre, Voy. mes Principes de compétence, t. 3, no 898, p. 669. Des positions bizarres pourraient faire naître des questions plus difficiles encore à résoudre. J'avoue que, dans les cas dont je vais parler, et qui ne sont pas les seuls qui puissent se présenter, la solution ne peut dépendre de règles certaines. Ainsi, 10 des travaux de terrassement pour des chemins de fer sur la ligne de Tours à Bordeaux ont été adjugés à l'hôtel de la préfecture de Tours. On conçoit qu'entre l'adjudicataire et les individus que l'enlèvement, le transport ou le dépôt de matériaux froisseront d'une façon quelconque, les conseils de préfecture dans la circonscription desquels sera située chaque localité, seront compétents pour connaître des difficultés relatives à la liquidation des dommages ou indemnités. Mais en sera-t-il de même entre l'Etat et l'adjudicataire pour la réception des travaux, ou bien appliquera-t-on la règle que j'ai posée cidessus relativement aux contestations les plus ordinaires? La mise en régie ne sera-t-elle pas prononcée par le préfet de chaque territoire et non par le préfet de Tours? Les conseils de préfecture et les préfets de chaque localité me semblent compétents. 2o Le gouvernement français traite avec un gouvernement étranger qui lui permet de jeter, à ses frais, ou de faire exécuter à frais communs, un pont qui sera appuyé sur les deux territoires. Une route est construite dans les mêmes conditions. Quels seront les tribunaux compétents? |