Images de page
PDF
ePub

(17) Dans un ouvrage fort remarquable, l'histoire du canal du midi, par M. le général Andréossy, je lis ces mots : «<< Fléchier, évêque de Nîmes, avait frappé » d'anathème les Protestans qui ne voulaient point » abjurer. » Rulhières aussi se montre sévère envers la doctrine de cet évêque, et même envers celle de Fénélon, alors simple abbé, missionnaire en Saintonge. Je crois que l'équité prescrit de juger sur l'habitude de leur conduite et sur l'expression constante de leurs sentimens, les hommes placés dans des temps et dans des fonctions difficiles, plutôt que sur quelques concessions arrachées à des embarras extrêmes, et que les victimes elles-mêmes ont pu leur demander comme un palliatif nécessaire des imprudences de leur dévouement Que s'il était décidement reconnu qu'un peu de la contagion ultramontaîne eût gagné jusqu'aux Fénélon et aux Fléchier, et qu'il n'y eût pas une seule exception à présenter en faveur du 'sacerdoce, voilà les secrets qu'il faudrait ensevelir dans les entrailles de la terre.

1

(18) « Je crois bien que toutes ces conversions ne » sont pas sincères; mais Dieu se sert de toutes voies >> pour ramener à lui les hérétiques. Leurs enfans se>>ront du moins catholiques, si les pères sont hypo» crites. » Ainsi s'exprime dans ses lettres Mme. de Maintenon, qui répétait la doctrine de son confesseur ét celle des évêques molinistes.

(19) Il faut apprendre aux tribunaux, dont le zèle

excessif a besoin d'être tempéré par la clémence du trône constitutionnel, ce que pouvait la probité courageuse des magistrats sous un prince absolu qui voulait par-dessus tout être obéi. L'enregistrement de cette ordonnance fut suspendu un mois entier. Voici un extrait des représentations qu'osa faire le célèbre d'Aguesseau, alors procureur-général du parlement de Paris, et qui n'en est pas moins devenu chancelier, tant il est vrai que l'estime publique est aussi quelquefois un moyen d'avancement! « Comme il » n'y a jamais eu de loi, dit-il, qui ait imposé aux » religionnaires la nécessité de changer de religion, >> on ne peut pas dire qu'il y ait eu présomption né » cessaire de ce changement. Le roi a bien aboli » l'exercice de la religion prétendue réformée, par » ses édits; mais il n'a point ordonné précisément aux » religionnaires de faire abjuration et d'embrasser la >> religion catholique. Toute la rigueur de la loi est » tombée sur les relaps, c'est-à-dire, sur ceux qui » après avoir abjuré leur mauvaise religion, sont re>> tombés dans leurs anciennes erreurs; mais pour » cela, il faut nécessairement prouver qu'ils en sont enlar » sortis, parce que pour retomber, il faut s'être ré» levé; et l'on aura toujours peine à comprendre >> qu'un homme qui ne paraît point s'être jamais con>>>verti, soit cependant retombé dans l'hérésie, et » qu'on puisse le condamner comme si le fait étaît prouvé. » Que pouvait-on opposer à de tels argumens? Rien, que la force; mais la force elle-même

M

[ocr errors]
[ocr errors]

eût été impuissante, si la liberté de la presse eût tiré de la poussière d'un greffe et répandu dans le peuple ces vérités.

Une anecdote rapportée par Rulhières fait sentir d'une manière frappante quelle était alors la situation bizarre de la France relativement aux jansénistes et aux Protestans. « On raconte qu'il se trouva dans le » même hôtel deux malades, dont l'un, janséniste, » demandait au curé les sacremens, ne pouvait les » obtenir, et menaçait de s'adresser aux magistrats; » et l'autre, calviniste, refusait la communion et >> repoussait le curé, qui le menaçait des galères s'il >>> en relevait, ou de le faire traîner sur la claie s'il >> mourait. Le maître de l'hôtel, alarmé de ces » scènes fàcheuses, imagina de changer secrètement » les deux malades de lit, et tout le trouble fut apaisé. »

Comme il n'est pas toujours possible de faire changer de lit aux malades, il me semble que le moyen le plus sûr de les laisser mourir en paix serait de leur donner, au lieu de prêtres fanatiques, des pasteurs tels que ce bon curé d'Utrecht qui, pendant les troubles religieux des Pays-Bas, pratiquait les deux religions, visitait les malades de toutes les sectes ne damnait personne, parce qu'il croyait, à l'exemple de Théano, que son ministère l'appelait à bénir les hommes et non pas à les maudire, et qui, le même jour, dans la même église, disait la messe et faisait là prêche; de sorte qu'après la messe, les réformés s'unissaient à lui

pour

chanter! Lève le cœur, ouvre l'oreille, et tous les psaumes de Marot.

(20) Dans un mémoire au roi, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, demanda le rétablissement de la tolérance, au nom même de la religion et des beaux siècles de l'église. « Je ne parle pas, dit>> il, du règne de Constantin où l'on pouvait redouter >> le nombre des païens; mais un siècle après, et lors» que saint Augustin témoigné que les païens étaient » réduits à un petit nombre, nous ne voyons point » qu'on employât aucune voie d'autorité pour les con» vertir. Il est vrai qu'on ferma leurs temples, qu'on >> abolit leurs idoles, et qu'on défendit tout exercice pu»blic de leur fausse religion; mais on ne les força point » à se faire instruire. Les églises leur furent ouvertes ; » mais, s'ils y vinrent, ce fut librement. On ne leur » ôta point leurs enfans pour les instruire et les bap» tiser malgré eux. On leur laissa contracter des ma» riages qui n'étaient que des contrats civils, et dont » toutefois les enfans étaient légitimes. Ils pouvaient >> faire divorce, en un mot faire tout ce que les lois » permettaient, quoique contraire à la religion. Telle » a été la conduite du grand Théodose, de ses en» fans, de Théodose le Jeune, de Marcien, de Léon, » de Justin, de Justinien, qui suivaient les conseils » de saint Ambroise, de saint Jean Chrysostôme, » de saint Augustin, de saint Léon et des autres » papes. » Ces principes d'un pieux archevêque diffèrent un peu de ceux des hommes publics qui vou

draient aujourd'hui ne reconnaître de mariages var lides qu'à l'église, et replacer les registres de l'état civil entre les mains des curés !

Un autre mémoire présenté, vers le même temps, par le ministre de Paris, d'Argenson, exprime des considérations prises d'un aspect différent. « L'inquisition » qu'on établirait dans Paris, dit au sujet des réfor» més cet homme d'état justement célèbre, aurait de » très-grands inconvéniens. Elle les forcerait d'ache»ter des certificats ou à prix d'argent ou par des sa» criléges. Elle éloignerait de cette ville ceux qui » sont nés sujets de princes neutres, indisposerait de >> plus en plus les Protestans ennemis, brouillerait les >> familles, exciterait les parens à se rendre dénoncia>>teurs les uns des autres, et causerait un mur>> mure peut-être général dans la capitale du royau» me, qui doit être considérée comme une mère pa

>> trie. >>>

La conclusion à tirer de ces deux extraits, c'est que la liberté sage est bonne à la religion comme à l'état.

(21) Une relation, composée par les ordres d'un secrétaire d'état, porte que, dans la seule année 1746, il y eut en Dauphiné vingt-huit personnes conduites à la chaîne des forçats, parmi lesquelles on vit deux gentilshommes, anciens officiers, un médecin, et toute la famille du seigneur de Lasterne. Dans les plus orageuses années de Louis XIV, on n'avait rien vu de plus désolant. « Partout, dit Rulhières,

« PrécédentContinuer »