Images de page
PDF
ePub
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Le porteur d'un contrat à la grosse souscrit par le capitaine, en cours de voyage, en nom qualifié, pour les besoins et avec affectation spéciale du navire, peut-il, dès l'instant où le navire arrive au lieu du reste et avant l'échéance du terme fixé pour le paiement, recourir à des mesures conservatoires telles que la saisie- arrêt du fret en mains des consignataires du chargement, pour empêcher la disparition des objets soumis au privilège de la créance? (Rés. aff. )

[ocr errors]

(Bouisson contre Chicallat. )

LE navire le Phenix, armé à Marseille par le 'sieur Chicallat, et commandé par le capitaine Jeansolen, avait éprouvé des avaries considérables dans un voyage de Calcuta à Port-Louis, île Maurice.

Le capitaine Jeansolen avait fait réparer ces

avaries.

Le 17 novembre 1824, ordonnance du président du tribunal de première instance séant, à l'ile Maurice, qui autorise le sieur Jeansolen, en sa qualité de capitaine, à emprunter à la grosse une somme de 6,753 piastres 39 c.es sur le navire le Phenix, ses agrès et apparaux.

Le 18 novembre, acte devant M.es Arnaud et son collégue, notaires à l'ile Maurice, par lequel le sieur Jeansolen, en vertu de l'autorisation précitée, reconnait avoir reçu du sieur Honoré Bouisson une somme de 2,500 piastres 63 c.es pour subSeconde Partie. f

venir aux dépenses et réparations du navire le Phénix: il déclare emprunter cette somme à la grosse aventure sur le même navire et pour un voyage de Port-Louis à Marseille.

L'acte d'emprunt porte que le capital prêté et le change maritime convenu à 12 pour cent seront payables au prêteur ou à son ordre, un mois et demi après l'arrivée du navire à Marseille.

Il porte, en outre, affectation spéciale du navire le Phénix, ses agrès et apparaux, comme sûreté et garantie du remboursement.

Le 22 avril 1825, le navire le Phenix arrive à Marseille, et de là il resultait que l'exigibilité de la somme prêtée à la grosse était reculée jusqu'au 7 juin, même année.

Le 10 mai, en vertu du contrat et sans demander permission à justice, le sieur Bouisson fait pratiquer une saisie-arrêt sur le fret gagné par le navire le Phénix, en mains des consignataires du chargement, soit à l'encontre du capitaine Jeansolen, soit à l'encontre du sieur Chicallat, armateur.

Le sieur Chicallat demande le soulèvement de cette saisie-arrêt: il prétend que le terme fixé pour le paiement n'étant pas encore échu, il n'a été permis au créancier de se livrer à aucune poursuite, ni même à des mesures conservatoires.

Les contrats, dit-il, forment la loi des parties et aucun prétexte ne peut légitimer la violation des conditions sous la foi desquelles elles se sont engagées.

Or, dans l'espèce, le sieur Bouisson a accordé terme pour le paiement. Ce terme est évidemment une condition de l'emprunt et il ne peut être ravi à l'emprunteur.

Suivant une maxime aussi ancienne que le droit,

celui qui a terme ne doit rien: cette maxime est érigée en loi par l'art. 1186 du code civil.

Or, il suit de là que le créancier est enchaîné par le terme qu'il a accordé, comme le débiteur est enchaîné par les obligations onéreuses qu'il a consenties. Le lien du contrat est réciproque et indivisible. Permettre au créancier d'agir avant le terme, c'est le relever d'un consentement volontairement donné, c'est saper la base primitive du pacte, c'est attenter à la foi promise, c'est anéantir l'équilibre qui a déterminé la volonté des con

tractans.

i Il est pourtant des cas où le débiteur ne peut plus invoquer le bénéfice du terme; mais ces cas sont expressément et limitativement désignés par la loi.

Ainsi, par exemple, l'ouverture de la faillite rend exigibles les dettes passives non échues (art. 448 du code de commerce ).

Ainsi encore, le terme n'est plus un obstacle aux poursuites lorsque, par son fait, le débiteur a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat

à son créancier.

Mais hors de ces cas, la règle générale subsiste dans toute sa force et rien ne peut en détourner l'application.

Dans l'espèce, point de faillite et, d'un autre côté, on ne peut pas dire qu'il ait diminution des sûretés promises; car, lorsque le prêteur a consenti à concéder le terme d'un mois et demi pour le paiement, après l'arrivée du navire, il a consenti implicitement à laisser recevoir le fret par l'armateur.

En effet, le fret se perçoit à l'instant du débarquement, et il est évident que, dans l'intention des parties, un terme n'a été stipulé que pour laisser à l'armateur le tems de recevoir ce fret et

de

payer avec son produit le montant du billet de grosse...

La séquestration du fret est donc un acte contraire à la commune intention des parties, comme elle est contraire à la lettre du contrat.

Bien plus la séquestration force impérieusement le paiement de la somme prêtée, méme avant l'exigibilité. Comment l'armateur pourra-t-il faire face aux dépenses relatives au désarmement da navire et comment pourra-t-il solder les loyers de l'équipage, si le fret est retenu en mains des consignataires?

On objecte d'abord que la saisie - arrêt n'est qu'une mesure conservatoire. Qu'importe si cette mesure, quoique simplement conservatoire, tend à bouleverser la loi que les parties se sont librement imposée, si elle dénature le contrat de fond en comble, si enfin elle lèse considérablement les intérêts de l'un des contractans, elle doit être proscrite. On objecte, en second lieu, que le fret une fois perçu, le privilége du prêteur s'évanouit.

Mais est-il bien vrai que le privilége du prêteur s'étende sur le fret? On peut soutenir la thèse contraire, puisque tout emprunt sur le fret est prohibě par l'art. 317 du code de commerce.

D'ailleurs quand même le fret serait affecté au privilége du donneur à la grosse et quand même cè privilége devrait s'effacer par la perception du fret. il demeurerait toujours constant que telle a été l'intention et la volonté des contractans, intention et volonté qui ressortent du terme convenu pour le paiement.

Enfin le privilége est maintenu sur le navire, et, sous ce rapport, il n'existe aucun danger réel pour le prêteur.

On objecte, en troisième lieu, que le contrat à la grosse est plus réel que personnel; que la chose affectée est débitrice principale; que si la chose disparaît, on ne trouve plus de débiteur, puisque, d'une part, le capitaine n'est pas obligé personnellement, ayant contracté en nom qualifié, et que, d'autre part, le propriétaire du navire peut s'exonérer des engagemens contractés par le capitaine, en cours de voyage, pour les besoins de l'expédition, au moyen de l'abandon du navire et du fret.

Cet argument n'a pas de base solide; car, par cela seul que l'armateur reçoit le fret du navire, il s'oblige à le représenter, à peine d'être personnellement tenu au paiement des sommes prêtées à la grosse.

En effet, aux termes même de l'art. 216 du code de commerce, le propriétaire du navire est civilement responsable des engagemens contractés par le capitaine, en cours de voyage, pour tout ce qui est relatif au navire et à l'expédition.

La loi lui donne, il est vrai, la faculté de répudier cette responsabilité, mais sous la condition expresse d'abandonner le navire et le fret.

Or, il suit évidemment de là que le fret n'étant. pas représenté ou n'étant pas abandonné, ce qui est la même chose, l'armateur reste soumis à la responsabilité et il est personnellement obligé à exécuter les engagemens pris par le capitaine.

Il n'est donc pas exact de dire qu'il n'y a plus de débiteur, dès l'instant où le fret est encaissé par l'armateur.

JUGEMENT.

» Considérant qu'aux termes du droit commun

« PrécédentContinuer »